Chapitre 5: Les sentiments d’un lanceur de couteaux.
Lors des représentations de la Troupe, l’interprétation de Scalproie était toujours suivie de celle de Grodoudou. Le premier était un spécialiste dans l’art du lancer de couteaux. Grodoudou, elle, possédait une voix enchanteresse. On aurait dit une diva internationale. Ainsi, au travail de précision et démonstration de force suivait une douceur innocente.
Tout semble séparer les deux Pokémons. Pourtant, ils ont plusieurs points communs. Les deux vivaient à Unys et ont été trahis par des humains. Scalproie, alors qu’il était un Scalpion, appartenait à une petite fille. Mais les parents de cette dernière ne voulaient pas de Scalpion et ils obligèrent la petite fille à l’abandonner. Les adieux furent chargés en émotion, lui, attaché à un arbre, elle, tentant de le rejoindre mais entrainée par la main de son père. Scalproie en eu à jamais le cœur brisé.
Grodoudou, elle, avait cependant vécu bien pire. Sa propriétaire souhaitait divorcer d’un mari violent. Celui-ci, par vengeance, voulu défigurer son ex-compagne en lui envoyant du Vitriol au visage. A elle d’invoquer, à ce moment précis, son pokémon afin de s’en servir comme bouclier vivant. Défigurée à jamais, Grodoudou fut ensuite abandonnée par cette femme qui ne voulait plus d’elle.
Peu de temps après leur abandon, les deux Pokémons rencontrèrent la Troupe et s’y joignirent.
Venant tous les deux de la même région, ayant tous les deux été trahis, Grodoudou et Scalproie devinrent rapidement de bons amis au sein de la Troupe. Force et douceur, duo d’exception. C’est d’ailleurs Scalproie qui, voyant Grodoudou déprimée du regard des autres, lui proposa un masque d’Arlequin pour cacher les cicatrices de son destin brisé.
Depuis des années, les deux Pokémons d’Unys prestent pour la Troupe. Ils forment un duo dans les missions imposées par Le Directeur. Même s’ils n’apprécient pas toujours ce qu’il leur demande, ils s’exécutent toujours pour celui qui leur a permis de reprendre leur vie en main.
Ce jour-là, la Troupe est de retour à Unys. Même si le Directeur est de plus en plus excité par son Projet, il juge qu’ils ont encore un peu de temps pour mener à bien quelques représentations. Pendant que le chapiteau est monté par les deux magiciens, Pingoléon, Estom et Mackogneur, les autres membres de la Troupe accompagnent le Directeur pour un tour en ville, afin d’ameuter du monde le soir.
Ils avançaient calmement, saluant la populace en montrant une partie de leurs nombreux talents. Devant, la voiturette du Directeur annonce la venue du Cirque en ville. Mais personne ne peut voir qui se trouve à l’intérieur. Il a toujours désiré garder son identité secrète. Les enfants, les hommes et les femmes regardent la Troupe passer. Tous sont particulièrement impressionnés par l’étrange Dodrio aux quatre têtes. Si les clowns et les acrobates exécutent quelques pitreries, Scalproie et Grodoudou se contentent d’avancer en saluant les gens.
Mais soudain, Grodoudou se cogne à Scalproie, ce qui faillit faire tomber son masque. Elle leva les yeux en le réprimandant. Mais Scalproie n’écoutait pas. Il regardait la foule, immobile, comme tétanisé. Grodoudou porta son regard sur les spectateurs à son tour. Scalproie fixait une jeune femme, blonde, qui devait avoir 18 ou 19 ans. Elle portait une casquette verte, un débardeur blanc et un jeans. Voyant que le reste de la Troupe avançait sans eux, Grodoudou tira par la main son ami, quoique avec quelques difficultés.
De retour au Chapiteau, Scalproie, qui n’avait rien dit depuis, se dirigea directement vers la caravane du Directeur auquelle il frappa. Grodoudou le suivait, intriguée par son étrange comportement.
- Il y a un problème ?
Le Directeur était derrière eux, toujours emmitouflé dans ses habits, le corps impossible à voir. Il n’avait même pas eu le temps de retourner dans son bureau. Scalproie lui adressa un regard décidé, alors que Grodoudou exprimait son ignorance en haussant les épaules.
- Vu ta précipitation, Scalproie, je suppose que c’est important.
Il passa devant eux, ouvrit la porte et les invita à entrer. Sans attendre, Scalproie pénétra à l’intérieur. Il ne s’assit pas sur la chaise présentée par le Directeur. Grodoudou, ne comprenant toujours pas, entra elle aussi.
- Explique-nous, Scalproie, demanda le Directeur.
Scalproie entama alors ses explications et tout devint clair aux yeux de Grodoudou. La jeune fille de la foule, Scalproie en était sûr, était son ancienne propriétaire. Il avait reconnu son visage, ses cheveux, sa posture, et même sa casquette, simplement, elle avait vieilli.
Le Directeur resta un moment silencieux, comme plongé dans ses réflexions.
- Très bien Scalproie. Pour toutes ces années de bons services, j’accepte de te faire un cadeau. Toute la Troupe s’y mettra. Je suppose que Grodoudou sera ravie de nous aider, cette fois-ci.
Grodoudou acquiesça, adressant un grand sourire à son ami. Scalproie se retenait de pleurer d’émotion. Il allait enfin retrouver sa dresseuse !
- Ludwig et Eden Stones ? répéta Henry.
- C’est ça, confirma Edith.
Le Pokéathlète et la mystérieuse jeune fille étaient sur un bateau, le Vaillant, en direction d’Hoenn. Edith était restée muette sur bien des choses et venait enfin de cracher le morceau concernant l’identité du couple qu’ils devaient chercher.
- Ludwig est un excellent dresseur, l’un des meilleurs du Clan. Eden est une peintre assez connue à Hoenn et Sinnoh. C’est leur fille, Rosa, qui court un danger.
- Et concernant votre fameux Clan Distorsion ?
- Désolée, mais je ne peux rien dire.
- Mais je suis de votre côté ! s’énerva Henry.
- Je sais… Mais la Sage m’a demandée de tenir le secret.
Henry se renfrogna. Edith parlait de cette Sage comme si c’était une Reine. Mais elle se refusait à dévoiler son identité. Apparemment, c’était pourtant quelqu’un de connu et d’influant… Du peu qu’il en savait, Henry pensait que cette Sage avait bien des points communs avec le Fameux Directeur du Cirque Madyapno.
- Vous n’allez pas encore râler !? Allez, venez, on va s’entrainer.
- Mouais… mais avant, je veux juste passer un coup de fil.
Le bateau possédait plusieurs pièces consacrées aux combats Pokémons. Edith et lui avaient eu ainsi l’occasion de s’entrainer ensemble à plusieurs reprises. Edith était une formidable dresseuse. A l’instar d’Hector, elle avait déjà beaucoup d’expérience en combat pour son âge. Elle possédait un Pyrax, un Scorvol, un Branette et un Togekiss, tous très puissants. Henry, Elektek, Emolga et Caninos avaient déjà beaucoup progressé sur ce bateau. Le souvenir de Joliberge était pourtant toujours bien présent. Et c’est d’ailleurs pour prendre des nouvelles de Séviper qu’il appela le Centre Pokémon de cette ville portuaire par PC. L’écran projeta ainsi en direct les images du Centre.
- Mademoiselle l’Infirmière, c’est encore moi.
- Ho, Henry… répondit elle.
Voyant sa mine triste et désolée, Henry comprit que quelque chose n’allait pas. Il déglutit.
- Il est arrivé quelque chose à Séviper ?
- Henry… je suis désolée. Nous avons fait tout ce que nous pouvions. Il est mort ce matin.
Une larme perla aux yeux d’Henry. Il l’essuya directement, ne voulant montrer son moment de faiblesse.
- Je vois… Merci tout de même … d’avoir essayé…
- Je regrette vraiment, vous savez et …
Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’elle était poussée de devant la caméra par un Cisayox, qu’Henry reconnut tout de suite comme étant le partenaire de son frère.
- Cisayox !? Mais … Hector est là ?
Cisayox baissa la tête en serrant ses pinces. Saisit d’un mauvais pressentiment, Henry recula d’un pas.
- Que s’est-il passé ?
Cisayox lui montra alors une feuille de papier. Il avait grossièrement dessiné dessus l’image d’un chapiteau de Cirque.
- Ha te voilà ! Je commençais à m’impatienter !
Edith l’attendait dans une des salles d’entrainement. Pyrax et Scorvol étaient en dehors de leur pokéball. Henry ne répondit rien et s’avança devant Edith, en position de combat. Il avait le visage déformé par la rage et serrait fort une pokéball dans sa main.
- Il y a un problème ? demanda la jeune fille, inquiète.
- Un problème ?
Henry éclata de rire. Mais ce n’était pas un rire franc. Cela s’apparentait plutôt à celui d’un fou. Puis, subitement, il éclata en sanglots.
- Le problème, c’est que nous allons nous venger de ces enfoirés !
Il lança la pokéball en l’air, invoquant le Cisayox de son frère. Celui-ci avait désormais un but semblable à celui d’Henry. Unis dans la douleur et la haine, ils seront partenaires dans la vengeance.
Le soir était venu. La Troupe avait agit très vite pour concocter leur plan. Xatu avait repéré le domicile de la fameuse dresseuse et on lui avait adressé une place gratuite ainsi qu’une lettre. Dans celle-ci, on lui annonçait qu’elle avait la chance d’avoir remporté non seulement un spectacle gratuit, mais aussi une rencontre plus personnelle avec la Troupe à la fin de la représentation. Une fois arrivée, Pingoléon l’avait prise en charge, lui expliquant qu’elle devrait attendre quelques minutes après la fin du spectacle. Elle s’était contentée d’acquiescer.
Lors de la représentation, tout s’était déroulé normalement. Scalproie, se sentant observé par son ancienne amie, redoubla d’effort et fut encore plus spectaculaire qu’à l’accoutumée. Grodoudou, elle, avait beaucoup observé la jeune fille. A première vue, elle voyait en elle quelqu’un de gentil, de franche. Elle éclatait de rire et exprimait son étonnement avec aisance. Scalproie en avait, de la chance…
Puis, Pingoléon annonça la fin du spectacle. Les spectateurs commencèrent à quitter leur place. La dresseuse, elle, attendait.
Dés qu’elle fut seule, tous les acteurs se rassemblèrent au centre du chapiteau. Le Directeur lui-même s’était déplacé.
- Bon, comment se passe cette rencontre ? demanda la dresseuse.
S’en suit un moment de silence. Puis, comme convenu, Mackogneur et Estom s’avancèrent vers elle.
- Attrapez-la, lança le Directeur.
Les deux pokémons s’élancèrent. Mais la dresseuse réagit très vite. Elle lança une pokéball, invoquant un Feurisson.
- Brouillard !
Tout comme Henry l’avait fait auparavant, elle avait décidé d’empêcher ses agresseurs de la voir. Pris d’une quinte de toux, Estom et Mackogneur restaient sur place. Personne ne pouvait apercevoir la jeune fille et Feurisson. Et quand Pingoléon dissipa le brouillard avec ses ailes, elle avait disparu.
- Merde… dit Pingoléon. Décidément …
- Elle n’est pas partie bien loin. Séparez-vous et attrapez-la.
La jeune dresseuse courrait. Elle était sortie du Chapiteau. Voyant la tête du Coudlangue et du Mackogneur, elle avait été saisie d’un mauvais pressentiment. Elle se passerait bien de cette fameuse rencontre… Feurisson courrait aussi à ses côtés, mais ils s’étaient perdus au milieu des roulottes. Par où était Flocombe ? Vers où aller ?
Alors qu’elle s’était réfugiée avec Feurisson derrière une roulotte, celui-ci lança une plainte déchirante. Elle baissa les yeux pour le regarder. Son pokémon avait un couteau planté dans le crâne, mort.
Scalproie s’avançait vers elle. Il avait tant espéré être celui qui la retrouverait. Des ses mains, plusieurs couteaux, simple précaution. La jeune fille recula et trébucha. Son visage exprimait clairement la peur. Scalproie aurait voulu lui dire de ne pas s’en faire, qu’il était son ami, qu’il ne lui ferait aucun mal ! Que la mort de son pokémon était un mal nécessaire pour leurs retrouvailles ! A terre, la dresseuse rampait pour s’éloigner. Le lanceur de couteau, lui, tendait sa main, comme pour l’aider.
Puis brusquement, elle invoqua un nouveau pokémon. Il s’agissait d’un Gallame, qui se dressait devant Scalproie. Celui-ci, surpris par l’invocation soudaine, encaissa un casse-brique qui le fit voler deux mètres plus loin. Lorsqu’il se releva, la jeune fille venait d’adresser quelques mots au Pokémon avant de prendre à nouveau ses jambes à son cou.
Scalproie se releva et attrapa sa collection de couteau. Gallame était en position de combat. Un lourd combat allait suivre. Mais rien n’empêchera Scalproie de retrouver son amie.
La dresseuse courrait, courrait et courrait encore. Elle était parvenue à quitter les roulottes et s’éloignait du Cirque. Elle paniquait, des larmes aux yeux. Elle avait confiance en Gallame, mais ce Scalproie n’avait pas eu de souci à tuer son Feurisson. Ce Cirque était vraiment dangereux ! Mais pourquoi elle ? Qu’avait-elle fait ?
Alors qu’elle courrait, une douce musique retentissait à ses oreilles. Une musique triste et belle à la fois. Elle continue de courir, puis ralentit. Au rythme de la musique, la dresseuse perd ses forces, petit à petit. Puis elle tombe à genoux. Elle n’a plus la force d’avancer. Ses paupières sont lourdes et elle finit par tomber de sommeil. La douce musique continue encore un instant, puis Grodoudou, qui la suivait, sort de sa cachette.
- Bon travail, Grodoudou.
Grodoudou sursaute. Elle-même avait été suivie par le Directeur. Comment avait-il fait pour ne pas s’endormir au son de sa berceuse ?
- Si tu le veux bien, j’aimerai m’entretenir quelques secondes avec notre invitée. Ho, ne t’inquiète pas, elle est trop âgé, je ne lui ferai aucun mal. Seul le bonheur de Scalproie m’intéresse ici.
Grodoudou hésita quelques secondes avant de s’écarter du chemin pour laisser passer le Directeur. Celui-ci s’assit devant la dresseuse, dos à Grodoudou. Celle-ci ne pouvait voir ce qu’il lui faisait.
Soudain, autre chose attira l’attention de Grodoudou. La dresseuse avait fait tomber un étui en cuir. Elle le ramassa et regarda à l’intérieur. Elle y trouva sa Carte Dresseur. Mais quelque chose clochait…
Alors que le Directeur se relevait, Scalproie arrivait. Il était apparemment blessé au bras et saignait à la tête. Mais était sorti vainqueur de son combat à mort contre Gallame. En ce moment même, Estom effaçait les preuves.
- Ha te voilà ! Justement, Grodoudou à réussi à arrêter ton amie. Et je viens à l’instant de tout lui expliquer. Elle va se joindre à notre Troupe.
A ces mots, la jeune dresseuse, bien réveillée, se releva. Elle avait le regard complètement vide, dénué d’expression. Elle regarda Scalproie, se releva et se dirigea vers lui. Le lanceur de couteaux se précipita et la prit dans ses bras, illusionné par le bonheur.
Grodoudou se rapprocha du Directeur. Elle lui montra la Carte Dresseur de la jeune fille, pointant la case « origines ». Si Grodoudou ne savait pas lire, elle avait déjà vu à plusieurs reprises le nom des différentes régions et elle était capable de les reconnaitre. Et ici, il était indiqué que la dresseuse venait de Kalos. Par conséquent, elle ne pouvait être la dresseuse de Scalproie.
- Oui… je sais, chuchota Le Directeur. Mais tu ne veux quand même pas gâcher le bonheur de ton ami ?
Grodoudou regarda la scène. Scalproie semblait si heureux, plus qu’elle ne l’avait jamais vu. La Chanteuse baissa les yeux, en signe de soumission.
- Tu as été vraiment formidable aujourd’hui, Grodoudou. Tu participeras à la prochaine mission, une mission très importante. Je compte sur toi.
Puis le Directeur repris le chemin du Cirque. Grodoudou continua un instant à regarder son ami et la dresseuse qu’il pensait avoir retrouvée. Le doute commençait à s’installer dans son esprit.